lundi 14 avril 2008

Le fond et la forme.

Ça y est, c’est fait, j’ai signé mon premier contrat d’embauche. Je suis content ! Je vais commencer à participer à la vie économique de mon pays adoré. Je vais contribuer à son essor, lui offrir mon dynamisme. Mais avant cela, il a été dit que je devais connaître mon terrain de jeu, détails :

Direction la première banque du coin, je dois absolument avoir un compte bancaire sinon je ne peux pas travailler. Oui, oui c’est vrai. Les entreprises ne donnent pas de cash à leurs employés, trop compliqué à gérer. Tu as un compte tu bosses, tu n’as pas de compte, tu oublie les entreprises et tu vas te chercher une place de jardinier (remarque pour quelqu’un qui cherche à se faire une place au soleil, c’est peut-être pas mal ?)

Bon ok ; pas de mouchkil, dans le coin c’est pas les banques qui manquent, alors voyons voir c’est quoi le choix ? Nous avons ici la BNCI, la BNCE, la SJNB et Bankattajir. BankAttajir ? Ça pète comme nom ça, non ? En plus je me sens un peu l’âme d’un tajir, d’un commerçant, aller go pour Bankattajir. Et puis, avec leur anglicisme, bank, waw, l’miricane ! C’est ce que j’ai cru pendant quelques douces secondes, alors que faut pas se tromper, rien à voir avec l’miricane, au Maroc, on peut dire que quasiment personne ne parle anglais, enfin beaucoup de personnes vont dire que oui, mais dès que vous les écoutez parler vous vous rendez compte que ce n’est pas cet anglais-ci qui est enseigné à Oxford… Mais BankAttjir, eux font péter le BANK, waw waw waw, franchement, rien qu’à voir ça j’ai pensé que c’était un gage de sérieux. Vous me direz qu’il ne m’en faut pas beaucoup pour être impressionné, mais je vous rappelle que je suis marocain, eh oui, marocain, et en tant que digne représentant de mon espèce (bientôt en voie de disparition si on ne se secoue pas un peu le derche..), j’en suis encore à me suffire de la forme, pour le fond on repassera (pas trop tard j’espère, mais on y est pas encore).

J’en entends plusieurs d’entre vous penser que re-voila un moralisateur, casse-bonbon et surtout pessimiste. C’est vrai, qu’en lisant ces quelques lignes on pourrais facilement le croire, je ne vous en veux pas, non non, je vous comprend, étant moi-même à la base un optimiste obtu. (Un optimiste obtu garde le sourire et la confiance même quand la terre tremble et qu’une vague de plusieurs dizaine de mètres fonce tout droit sur le jardin où se déroule le barbecue du dimanche, NDLR). Attendez qu’on en revienne à notre histoire et vous comprendrez à votre tour d’où me viennent ces sombres idées.

Donc je me décide pour la banque des commerçants, et me lance. Je pousse la porte et arrive dans une superbe agence toute de marbre vêtue, avec des écrans LCD partout qui donnent en temps réel le cours de bourse de l’action Maroc Telecom (oui, juste Maroc Telecom, parce que de toute les manières, les autres cours tout le monde s’en fout). Il y’a du mobilier qui ferait honneur à n’importe quel bureau de PDG. C’est top ! Je me sens rassuré dans mon choix. Encore le fond me direz-vous, mais là ce n’est plus médire, c’est fini. Je n’ai pas touché le fond, mais je commence à apercevoir la forme et là, là mes amis, ça part en sucette. J’atterris devant la chargée de clientèle et annonce ma décision : je désire (pas ardemment mais à cette époque de ma naïveté, presque) ouvrir un compte dans votre banque. Première déception, personne ne semble se réjouir à la vue d’un nouveau client. Personne n’en a cure que mon salaire finisse chez pierre ou chez jean. Pour tout vous dire, ils s’en foutent complètement même. Je vous fais grâce de la file d’attente, du fait que l’on ne sache pas où s’adresser, qu’il faille faire la queue devant trois guichets différents avant qu’on ne nous lâche que c’est à la dame du fond, la bas, qu’il faut aller déranger. Ça je vous le passe. Par contre, je soulignerais la manière dont ils répondent. Vous savez, ce ton qui vous fait culpabiliser, qui vous donne l’impression d’avoir posé une question stupide. Ce ton là, je ne l’aime pas. Après tout, ils sont là pour répondre à nos questions non ? Apparemment, non ! Au vu de la manière avec laquelle ils nous répondent, nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir un peu demeurés. C’est plus fort que moi, à ce moment, je me dis que je les dérange avec mes interrogations débiles. Du coup, en bon humaniste que je suis, je finis par faire preuve d’un minimum d’empathie : peut-être que ça vient de moi. Plus précisément, peut-être que ça ne vient pas d’eux directement. Peut-être que le mépris a été la seule chose avec laquelle on leur a répondu eux aussi. Ils ne feraient que reproduire un schéma. Rassurez-vous, je ne me suis pas dis ça très longtemps. En fait, très vite je me suis dis que, non seulement ils peuvent changer mais qu’en fait ils le doivent. Ce n’est pas parce qu’une erreur a été commise à répétition, qu’elle est devenue la règle, que pour autant ce n’est plus une erreur.

Donc je me retrouve, enfin, devant la maintenant fameuse chargée de clientèle. Je lui annonce mon désir de confier le fruit de ma sueur à son estimable institution et là, devant la joie non manifeste de mon interlocutrice, à nouveau, je suis la proie d’une vive déception. Je m’attend pas à ce qu’elle me saute au cou, ni à ce qu’elle me couvre de baiser. C’est bon, j’ai déjà été refroidi par ses collègues. Pour être tout à fait honnête, j’ai aussi été refroidi par son apparence extérieure. Il faut croire que la forme ne me faisait plus le même effet. Fin de la naïveté. D’ailleurs c’est un point qui s’est vérifié depuis. Toutes les banquières que j’ai eu l’insigne honneur de rencontrer se seraient faites jetées manu militari hors des concours de beauté et à grand coup de pied au derrière. Quand même ! Que demandais-je à cette époque candide de ma jeunesse ? Un sourire ? Un petit « Bienvenue, vous avez fait le bon choix » cela ne lui aurait rien coûté, cela ne lui aurais pas défait son chignon (mal fait au demeurant). Bref, ma future ex-chargée de clientèle se met à farfouiller (c’est le mot juste, croyez-moi) dans ses tiroirs, à chercher sous son clavier, sous sa calculette (Dont la taille, comme chacun le sait, est inversement proportionnelle à la compétence de son propriétaire. Autant dire que là c’était une calculatrice de 2m sur 2 qu’elle avait). Finalement, au bout de vingt minutes pendant lesquelles elle a eu le temps de répondre deux fois à son portable, elle finit par me mettre sous le nez plusieurs liasses de formulaires qu’elle me demande, directement, de signer. Je me saisis du premier formulaire et accepte le stylo qu’elle me tend. J’aurais aimé profiter un peu plus de ce moment unique. Jeune et naïf (presque un pléonasme) je ne savais pas encore que cela allait être le seul jour où mon banquier me prêterait quelque chose sans pour autant me saigner à blanc par la suite. Je me mets à parcourir le document, et là, ce n’était plus une demande, c’était devenu une injonction : signez là ! J’avais bien compris, elle ne s’était pas exprimée en dialecte tibétain la première fois. Je voulais simplement découvrir le contenu du formulaire. De mauvaise grâce elle me laissa faire, mais elle ne put s’empêcher de me lancer un regard qui en disait long sur le fond de sa pensée (ça y était, on l’atteignait enfin le fond). Elle me fixait d’un œil mauvais qui affichait clairement son mépris pour ces personnes qui se croyaient plus malignes que les autres. Tout le monde signe là où on lui demande, au moment où on lui demande, il se prend pour qui lui ? Son regard changea un court instant, remplacé par un autre regard chargé d’appréhension celui-là. Elle me posa la première question sur moi, le client. « Etes-vous Avocat ? ». Tout à mon innocence d’alors, je lui répondis que non et entrepris de me dévoiler quelque peu. Je venais de décrocher mon premier emploi sérieux dans mon pays natal et… Je n’eu pas l’envie de continuer, elle ne m’écoutait plus, rassurée que je ne fasse pas partie du barreau et que je ne puisse lui créer aucun désagrément.

Meurtri dans mon orgueil, je restais de glace, malgré la chaleur ambiante, propice à tous les coups de chaud. Stoïque, donc, je lui signale qu’il y’a des espaces blancs, des montant de cotisations qu’il fallait remplir et qui, surtout, m’engageaient fermement. Elle ne put plus se retenir et me répondit, excédée, qu’elle allait s’en charger. Je devais me contenter de signer. Une fois de plus, je me suis senti débile, comme un gosse qui dérange les adultes occupés à une activité d’adultes avec des questions de gosse. C’était comme si j’avait interrompu le professeur de maths en pleine démonstration avec une question du type : « D’où vient le vent ? Pourquoi les chinois mangent avec des baguettes ? Est-ce parce que les fourchettes piquent ? » Alors, de guerre lasse, je lui ai signé tous les papiers qu’elle m’a présenté en espérant juste ne pas m’être engagé à servir d’esclave sexuel à toute sa famille durant les trente prochaines générations. Elle pousse un soupir bien bruyant, et me tend mon RIB du bout des doigts.

Complètement usé par l’expérience traumatique que je venais de vivre, je saisis l’objet de mon désir et de mon malheur à la fois (la vie est souvent, voir systématiquement, ainsi faite), l’examine sans rien comprendre à cette série de chiffres et me dirige vers la porte, la queue entre les jambes et le moral bien enfoui sous terre.

Je venais d’ouvrir mon premier compte en banque dans notre plus beau pays du monde, et j’avais l’impression que ce n’était que le début d’une longue série de moments où je me sentirais tel David devant Goliath : minuscule. Simplement, ce n’était pas un géant que j’allais avoir en face de moi, mais une série de comportements aberrants, de mauvaises habitudes bien ancrées dans les moeurs, de lâcheté, d’éducation bâclée, de justice inexistante…

L’avenir allait se charger de me montrer à quel point j’étais encore éloigné de la réalité, mais le passé m’avait déjà apprit que David avait fini par faire une tête au carré à Goliath.

vendredi 4 avril 2008

 
Cha cha cherche, annuaire de repérage francophone